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Elle était en voie de disparition avant qu’une association d’agriculteurs, de jardiniers et de cuisiniers ne vienne à sa rescousse et à celle d’autres légumes locaux tombés en désuétude. Tout commence par le sauvetage des semences.
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Les graines et gousses de fèves violettes cultivées par le jardinier Joël Besnard à Carros (Alpes-Maritimes), le 30 mars. (Laurent Carré/Libération)
par
, correspondante à Nice et photo Laurent Carré
publié aujourd'hui à 10h09
A travers la cosse, la chair dodue des fèves forme des vaguelettes. Quand Joël Besnard compte sept bosses, il entoure le feuillage d’une ficelle bleue : ce pied est fertile. Sélectionnées pour les semences, ses graines seront replantées. Sur les quatre rangées de plants de son potager de Carros (Alpes-Maritimes), ce jardinier redonne vie aux semences d’une variété paysanne : la fève violette de Saint-Laurent-du-Var. Ce légume local était en voie de disparition. Comme une centaine de variétés, il a été sauvé de l’extinction par la Maison des semences paysannes maralpines, une association d’agriculteurs, de jardiniers et de cuisiniers. La fève violette retrouve la terre du maraîcher et les casseroles des chefs.
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Joël Besnard, 75 ans, est à l'origine de la sauvegarde des fèves violettes, à Carros (Alpes-Maritimes), le 30 mars. (Laurent Carré/Libération)
La gousse s’ouvre comme un écrin dévoile son trésor. A l’orée du printemps, les févettes sont brillantes. «Elles sont petites et super-vertes, s’émerveille Facundo Castellani, chef argentin qui vient chercher l’inspiration directement dans le champ. Elles ont un goût très chlorophylle.» Matures, les févettes deviendront violettes. «A chaque fois qu’on perd un végétal, on perd une note de gastronomie, c’est irréversible, s’émeut Eliott Mercier, fondateur de 21 Paysans, primeur et restaurant niçois qui accueille le chef. Il n’y a pas de diversité culinaire sans diversité végétale.» Ensemble, ils proposent quatre soirées autour de la fève, de la blette rose, du haricot croquet et du poireau long : quatre végétaux en péril.
Selon les Nations unies, 75 % des variétés cultivées ont disparu en un siècle. Le catalogue réduit des semences conduit à l’uniformisation du vivant, la perte d’un terroir et d’un patrimoine. Partout en France, les courgettes ont la même forme, les tomates la même couleur, les haricots la même saveur. La faute à l’appropriation par l’industrie agroalimentaire des semences agricoles, désormais hybrides et brevetées. En 2017, les membres de la Maison des semences paysannes maralpines lancent un «appel général à la semence». Ils fouillent les cabanons au fond des potagers, fouinent dans les hangars des agriculteurs. Ils dégotent les graines des légumes oubliés. «On n’est pas un conservatoire de jardiniers, insiste Maxime Schmitt, oléiculteur et membre de l’association. On ne sauvegarde pas uniquement la fève mais on veut lui redonner des compétences pour qu’elle se retrouve dans les assiettes. La communauté paysanne défend sa souveraineté alimentaire.» Tout commence à la semence.
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Certaines gousses, cultivées à Carros, contiennent jusqu'à huit fèves. (Laurent Carré/Libération)
Il y a sept ans, raconte Joël Besnard, un prof de jardinage à la retraite «ouvre sa grosse paluche». Sept graines nichent au creux de sa main. L’ancien a un vœu pieux : «Ma mère cultivait ces fèves violettes. Ce sont les dernières. Il faut les sauver !» Joël Besnard a l’âme collectionneuse. Dans sa serre s’amoncellent les cactées, dans sa cuisine sèchent des graines de courge. Jamais il n’abandonnera ce modèle rare : il plante. «En trois ans, à force de sélections, la production a plus que doublé, relate cet enseignant en biologie à la retraite. Ça vaut le coup de tout tenter avant que ces trésors ne disparaissent progressivement.» La fève violette est désormais cultivée chez le maraîcher Nicolas Lassauque, sur les restanques de Carros. Elle est vendue en paniers, sur les marchés et aux restaurateurs. «C’est valorisant. Tu n’es pas qu’un éleveur de légumes, tu maîtrises le cycle complet de la plante, estime le paysan sous l’une de ses serres. Les plants s’adaptent petit à petit, ils sont plus vigoureux.» Avec ce travail séculaire de sélection, la variété s’accoutume au sol et au climat. La ferme devient autonome et la biodiversité accroît. Nicolas Lassauque cultive aussi en semence paysanne l’oignon rose de Menton, le poireau long de Nice, l’aubergine et la tomate.
L’oignon rose de Menton est devenu un best-seller. Couleur corail et saveur suave, il se déguste cru. «Une mamie nous l’a transmis. Il est devenu notre première star, s’enthousiasme Maxime Schmitt. Il n’a rien à envier aux autres en termes de goût, de productivité, de résistance à la maladie.» Cette variété oubliée voit la vie en rose : l’oignon est cuisiné par le chef triplement étoilé Mauro Colagreco au Mirazur de Menton, élu meilleur restaurant du monde en 2019. Une fête célèbre sa renaissance et une «déclaration participative des communs» officialise son existence. Sans valeur légale, ce texte déclare symboliquement l’oignon rose *«inappropriable par l’industrie».* C’est l’espoir d’une semence libre de droit et collective, protégée du «brevetage du vivant» et de la «biopiraterie». «Il y a un gros potentiel politique. Notre devoir, c’est de faire vivre ces semences paysannes, poursuit l’oléiculteur militant. Quand on adhère à l’association, on accepte la charge éthique. On échange ses graines entre pairs, on s’engage à produire des graines. On veut penser la semence comme un bien commun.»